Discours et déclarations

Conclusion du débat sur mon interpellation, qui attire l’attention du Sénat sur les faiblesses du système canadien de soins de longue durée qui ont été révélées par la pandémie de COVID-19.

29 juin 2021

Honorables sénateurs, je prends la parole à cette heure tardive, alors que nous célébrons le Mois des aînés, pour conclure le débat sur mon interpellation, qui attire l’attention du Sénat sur les faiblesses du système canadien de soins de longue durée qui ont été révélées par la pandémie de COVID-19.

Je tiens à exprimer ma gratitude envers tous mes collègues qui se sont exprimés sur l’état des soins de longue durée dans leur région : la sénatrice Martin, la sénatrice Pate, la sénatrice Bovey, le sénateur Plett, le sénateur Boehm, la sénatrice Boniface, la sénatrice Dasko, la sénatrice Moodie et le sénateur Dean.

Les répercussions socioéconomiques de la pandémie de COVID-19 ont été vastes, mais la dévastation qui a eu lieu dans le secteur des soins de longue durée demeure la grande tragédie de cette crise. En mars dernier, l’Institut canadien d’information sur la santé a publié un rapport qui a examiné l’impact de la COVID-19 sur les résidents et le personnel des établissements de soins de longue durée au cours des six premiers mois de la pandémie et qui a présenté des comparaisons préliminaires du nombre d’éclosions, de cas et de décès entre la première et la deuxième vague. L’organisme a constaté que, du 1er mars 2020 au 15 février 2021, plus de 2 500 établissements de soins à l’échelle du pays ont été touchés par une éclosion de COVID-19, ce qui a causé le décès de plus de 14 000 résidants et de près de 30 membres du personnel. C’est plus des deux tiers du total des décès liés à la COVID-19 au Canada.

D’autres rapports et d’autres enquêtes ont mis en lumière les causes sous-jacentes du nombre disproportionné de décès chez les résidents des établissements de soins de longue durée : le manque de ressources, la pénurie de personnel, les infrastructures désuètes et la mauvaise qualité des soins. Ces problèmes persistants ont débouché sur une conversation nationale au sujet des causes des problèmes qui sévissent dans les établissements de soins de longue durée et des solutions potentielles. Cela a mené les Canadiens à réfléchir à la façon dont ils voulaient vivre leur vieillesse.

À la fin de 2020, le National Institute on Aging, et partenariat avec l’Association médicale canadienne et Ipsos, a mené un sondage en ligne afin de mieux comprendre les préoccupations et le point de vue des Canadiens au sujet de l’état du système canadien de soins de longue durée. Le sondage a révélé que 86 % des participants — et 97 % de ceux qui ont plus de 65 ans — se disent préoccupés par les problèmes qui accablent le système de soins de longue durée du Canada. En outre, 85 % des répondants — et 96 % de ceux qui ont plus de 65 ans — ont dit que, lorsqu’ils seront plus vieux, ils feront tout pour éviter de se retrouver dans un établissement de soins de longue durée.

Le constat est évident : la majorité des Canadiens veulent demeurer dans leur résidence dans la sécurité et l’indépendance aussi longtemps qu’ils le pourront.

Il est important de noter que le désir de vieillir à domicile n’est pas nouveau; cela fait des années que les sondages et les études nous le montrent. En 2005, l’Alliance pour la recherche sur le logement des personnes âgées dans les provinces de l’Atlantique a mené un projet de recherche sur cinq ans pour comprendre les besoins en matière de logement des personnes âgées dans les provinces de l’Atlantique, afin de mettre au point des recommandations sur des politiques qui permettraient de proposer d’autres solutions pour répondre à leurs besoins.

Le rapport final publié en 2010, qui s’intitule Logement pour les personnes âgées : défis, enjeux et solutions potentielles dans les provinces de l’Atlantique, est parvenu à deux grandes conclusions. La première est que lorsque nous vieillissons, nous souhaitons rester à domicile le plus longtemps possible, et la deuxième est que le soutien dont nous disposons sur place et dans nos villes est indispensable pour que nous puissions rester chez nous dans de bonnes conditions.

Les raisons pour lesquelles on préfère rester chez soi le plus longtemps possibles sont, notamment :

[…] la crainte de l’inconnu, du changement et de perdre les éléments familiers de leur vie; [la] volonté [de] contrôler [leur vie]; et le désir de ne pas être perçu comme un fardeau [pour] autrui.

Selon le rapport, le nombre de personnes âgées qui souhaitent rester chez elles est supérieur à 90 %.

C’est quelque peu incongru, mais des rapports montrent que le Canada consacre un montant anormalement faible aux soins à domicile par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. Selon un rapport publié en novembre par l’Université Queen’s et intitulé Ageing Well, le Canada ne consacre que 0,2 % de son PIB aux soins à domicile. Il s’agit du pourcentage le plus faible de l’OCDE. Voici ce qu’on peut lire dans le rapport :

Pire encore, pour six dollars dépensés dans des établissements de soin, un dollar est dépensé pour des soins à domicile. C’est l’un des ratios les plus déséquilibrés du monde développé en ce qui concerne l’allocation des ressources.

Les résultats d’une étude demandée par l’Association médicale canadienne, publiée en mars, montrent :

[…] une demande de [soins de longue durée] correspondant à 606 000 patients en 2031, comparativement à 380 000 en 2019. De même, la demande de services à domicile s’élèvera à environ 1,8 million de personnes en 2031 alors que les chiffres correspondants en 2019 s’établissaient à près de 1,2 million de personnes.

En conséquence, le coût total des soins devrait presque doubler, passant de 29,7 milliards de dollars en 2019 à 58,5 milliards en 2031.

On a également constaté que le recours aux soins de longue durée est à la baisse depuis quelques années. On peut lire ceci :

Si le système de soins de santé pouvait soutenir cette tendance par la mise à profit des services à domicile, les établissements de [soins de longue durée] pourraient être délestés de 37 000 bénéficiaires; il en résulterait des économies estimatives de 794 millions de dollars d’ici à 2031.

Enfin, on estime qu’il y a actuellement plus de 9 400 patients dans les hôpitaux qui attendent d’être transférés vers d’autres établissements de soins et, si certains de ces patients étaient transférés vers les soins à domicile et les soins de longue durée, on pourrait économiser 1,4 milliard de dollars de plus par année d’ici 2031.

Les conclusions de l’étude sont accompagnées de deux solutions pour améliorer les soins, dont l’une consiste à rediriger en plus grand nombre les bénéficiaires de soins de longue durée vers les services à domicile. Cependant, à l’heure actuelle, la plupart des mesures gouvernementales visent à résoudre les problèmes flagrants et immédiats du secteur accablé des soins de longue durée, notamment par la création de normes, le recrutement de personnel et la rénovation des infrastructures. Bien que ces mesures soient importantes, elles ne suffiront pas à elles seules à répondre à la crise des soins de longue durée. Le problème fondamental est le sous-financement chronique des soins à domicile et des services communautaires à l’intention des aînés qui permettront à ceux-ci de vieillir au sein de leur communauté dans le domicile de leur choix.

Honorables sénateurs, nous devrions nous poser la question suivante : pourquoi consacrons-nous une si grande partie de nos efforts collectifs et de notre argent à des soins que nos aînés ne veulent même pas?

Dans le cadre de cette enquête et afin de mieux comprendre le travail effectué au pays pour permettre le vieillissement chez soi, je me suis lancée à la recherche de projets pilotes originaux. Mes recherches ont abouti à un certain nombre d’initiatives mises en œuvre au Canada au cours des cinq dernières années. Bien qu’il y en ait probablement plus, j’ai trouvé 21 projets dignes de mention, dont 9 en Ontario, 2 au Québec, 3 dans les provinces de l’Atlantique, 3 dans les provinces des Prairies, 2 en Colombie-Britannique et 2 dans les territoires. Certains de ces projets sont financés par des sources privées, tandis que d’autres sont financés par le gouvernement fédéral, les provinces ou les municipalités. L’objectif de ces projets est d’aider les gens à vieillir en santé chez eux grâce à des logements, des services de santé et de soutien social, du transport, du bénévolat, de la télémédecine et des technologies émergentes adaptés aux personnes âgées.

À titre d’exemple, dans ma province, le Québec, l’Hôpital Saint-François d’Assise dispose d’une clinique mobile à Québec depuis février 2019. L’objectif du projet pilote est d’effectuer un suivi gériatrique au domicile des patients après leur sortie de l’urgence.

Par ailleurs, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il dépensera jusqu’à 15 millions de dollars dans l’élargissement du programme de soins paramédicaux communautaires pour les soins de longue durée, qui a été lancé en octobre 2020. L’objectif du programme est de fournir aux personnes âgées des services de santé à domicile afin de retarder leur entrée dans un centre de soins de longue durée.

À l’Île-du-Prince-Édouard, un nouveau projet pilote, Hospitals Without Walls, a été lancé en novembre 2019 et il est financé par le Centre for Aging + Brain Health Innovation. Ce projet vise à recourir à la technologie pour permettre aux aînés et aux membres de leur famille qui prodiguent des soins de demeurer en contact avec leur équipe médicale sans quitter leur domicile.

En Colombie-Britannique, le programme intitulé Better at Home est financé par le gouvernement provincial et géré par Centraide. Ce programme repose sur l’aide de bénévoles, de fournisseurs de services et d’employés pour offrir une vaste gamme de services de soutien, comme des visites amicales, du jardinage et l’épicerie afin d’aider les aînés à vivre de manière autonome au sein de leur communauté.

À l’échelle nationale, le gouvernement fédéral, en partenariat avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick, a mis sur pied le projet pilote d’aînés en santé en 2018. Ce programme soutient une série d’initiatives de recherche appliquée afin d’examiner comment les aînés peuvent bénéficier d’un meilleur soutien dans leur domicile, leur communauté et les établissements de soins de santé. Au mois de janvier, on dénombrait 39 initiatives depuis le début du projet pilote.

En dernier lieu, le Conseil national de recherches Canada a développé le programme Défi « Vieillir chez soi » en octobre 2020. Le programme vise à établir des partenariats entre les secteurs privé et public ainsi qu’avec les milieux universitaires et les organisations de recherche dans le but d’aider les aînés et les personnes qui les soignent à mener une vie saine avec des liens sociaux dans la communauté de leur choix ou à partir de leur domicile.

Ce ne sont que quelques exemples parmi toutes les initiatives orientées vers l’avenir qui sont axées sur les aînés.

Honorables sénateurs, en tant que parlementaires, nous avons la responsabilité de faire preuve de leadership dans ce dossier crucial lié au vieillissement et aux aînés. Aux niveaux local, provincial et national, nous pouvons trouver des points communs entre ces initiatives et encourager celles qui ont fonctionné dans un endroit à s’implanter dans un autre. Nous pouvons trouver des pratiques exemplaires et peut-être même assurer la mise en place d’un centre de surveillance centralisé.

Dans mon discours d’introduction à cette interpellation, j’ai exploré plusieurs solutions claires, réalisables et à court terme qui peuvent être et ont déjà été mises en œuvre dans tout le pays. En même temps, je nous ai encouragés à réfléchir à des solutions à long terme qui créeront des changements durables et profonds dans le système des soins de longue durée.

Les conclusions que l’on tirera dépendront de la définition ultime que l’on donne au problème. S’agit-il fondamentalement d’un problème lié aux foyers de soins de longue durée, ou devons-nous transformer la façon dont les services sociaux et de santé sont fournis dans tout le continuum des soins de santé?

Il est évident qu’à tous les ordres de gouvernement, la création de politiques axées uniquement sur le secteur des soins de longue durée ne constitue pas une solution viable pour répondre aux demandes de la population croissante des aînés canadiens. Pour répondre à ces besoins, il faut changer le statu quo et passer d’un système qui donne la priorité aux soins hospitaliers actifs à un système qui se concentre sur les besoins des aînés en matière de logement, de services sociaux et de santé.

Comme on l’indique dans le rapport intitulé Ageing Well, publié par l’Université Queen’s :

Les aînés ont principalement besoin de quatre types de services. Le modèle actuel est axé surtout sur les soins visant à atténuer les contraintes liées aux capacités physiques et mentales, alors que les services liés au logement, au mode de vie et aux besoins sociaux sont souvent relégués à l’arrière-plan. La nouvelle approche doit reconnaître que les quatre besoins sont interreliés, et qu’il faut y répondre en même temps pour que les aînées puissent vieillir dans la dignité.

La pandémie de COVID-19 a donné aux parlementaires, aux gouvernements provinciaux et territoriaux, aux associations et aux intervenants du secteur public et du secteur privé l’occasion de collaborer et d’unir leurs efforts pour améliorer les soins communautaires et de longue durée tout en veillant à ce que le secteur des soins de longue durée puisse bien prendre soin des aînés les plus vulnérables.

Honorables sénateurs, je vous encourage à réfléchir à ce que devrait être une résidence selon vous. Pour nombre d’entre nous, c’est un concept complexe qui va au-delà d’un simple espace physique et qui est étroitement lié à l’expérience personnelle. C’est un endroit qui comporte de nombreuses dimensions comme le confort, l’indépendance et les relations. L’idée que l’on se fait d’une résidence devrait être au cœur de nos décisions stratégiques.