Discours et déclarations

Le Racisme – L’étude d’une question d’intérêt public urgente

18 juin 2020

Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Moodie d’avoir proposé ce débat d’urgence.

Le Canada est un vaste pays, une mosaïque d’identités, de langues et de cultures, et le schéma de cette mosaïque varie d’un océan à l’autre. Souvent, nous présentons notre pays comme un exemple exceptionnel de multiculturalisme, avec un héritage d’inclusion. Les racines de notre multiculturalisme sont antérieures à la Confédération. Parlant une multitude de langues et incarnant une grande diversité de cultures et de traditions, les communautés autochtones ont été rejointes par des immigrants venus du monde entier. Tous ont fait du Canada le pays fort et diversifié qu’il est aujourd’hui.

En tant que Canadiens, nous sommes fiers de faire partie d’une société accueillante et compatissante. Les valeurs de démocratie, de liberté et d’inclusion qui sont inscrites dans notre Constitution nous lient en tant que nation.

Pourtant, le récit de notre diversité et de notre tolérance ne cache pas les périodes sombres et douloureuses du racisme cruel qui a marqué notre histoire. Le défi que présente notre réalité est que, malgré notre bienveillance en tant que peuple, nous avons encore des problèmes profonds de racisme systémique auxquels nous devons faire face en tant que société.

Il suffit de consulter nos livres d’histoire pour découvrir les nombreux témoignages de discrimination raciale au sein de nos institutions. Par exemple, pendant la Première Guerre mondiale, l’armée canadienne a refusé de nombreux jeunes hommes noirs qui voulaient s’engager, jusqu’à la création du 2e Bataillon de construction, en 1916, une unité militaire spécialement formée pour les hommes noirs.

Plusieurs provinces, notamment l’Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse, ont fondé et géré des écoles ségréguées légalement pour les catholiques, les protestants et les Noirs. Ce n’est que grâce à des efforts soutenus de revendication que les écoles pratiquant la ségrégation raciale ont été graduellement fermées, les dernières de ce type ayant été fermées en 1965 en Ontario et en 1983 en Nouvelle-Écosse.

Non seulement la ségrégation raciale était pratiquée dans les écoles primaires, mais on la pratiquait aussi dans certaines universités, y compris l’Université McGill, l’Université Queen’s et l’Université de Toronto. Par exemple, de 1918 à 1965, l’Université Queen’s a exclu les étudiants noirs de son programme de médecine, tandis que, dans les années 1920, l’Université de Toronto refusait d’admettre les étudiants noirs.

Notre histoire contient beaucoup d’autres facettes sombres et tragiques, notamment les pensionnats parrainés par le gouvernement ouverts dans le but d’assimiler les enfants autochtones; l’internement de plus de 21 000 Canadiens d’origine japonaise en 1942; la destruction d’Africville par la Ville d’Halifax dans les années 1960; et l’instauration de la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois, qui visait à ralentir l’immigration chinoise en 1885, pour ne mentionner que quelques exemples.

Malheureusement, ces cas-là n’appartiennent pas uniquement au passé; encore aujourd’hui, on entend l’écho de ces périodes difficiles de l’histoire. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les profondes inégalités qui subsistent au Canada aujourd’hui. Selon un rapport publié le 1er juin 2020 par Santé publique Ontario :

Les quartiers les plus diversifiés sur le plan ethnoculturel en Ontario, principalement ceux qui sont concentrés dans les grandes zones urbaines, affichent des taux disproportionnellement plus élevés de COVID-19 et de décès connexes que les quartiers moins diversifiés.

La même chose est vraie pour Montréal.

Les récentes protestations partout dans le monde visant à réclamer des changements dans toutes les sphères de la société ont forcé la tenue de débats sur les moyens de lutter contre le racisme systémique. Par exemple, le 15 juin dernier, le Conseil de santé d’Ottawa a voté à l’unanimité une motion prévoyant ce qui suit :

Le racisme, la discrimination et la stigmatisation sont associés à une plus faible santé physique, mentale et émotionnelle et à un taux de mortalité plus élevé, ce qui fait du racisme, notamment envers les Noirs, un enjeu de santé important.

Le même jour, l’ Office de consultation publique de Montréal a publié un rapport sur le racisme et la discrimination systémiques qui existent dans ma ville d’origine, Montréal. Le rapport révèle que la Ville de Montréal néglige la lutte contre le racisme et la discrimination et, en guise de réponse, l’Office de consultation publique de Montréal propose 30 mesures qui peuvent être mises en œuvre à cet effet.

Honorables sénateurs, même si les événements survenus aux États-Unis récemment ont entraîné une espèce de prise de conscience mondiale, nous ne devons pas oublier que le problème du racisme, surtout au Canada, ne date pas d’hier.

La question se pose toujours : comment pouvons-nous nous servir de cette volonté de renouveler notre engagement à l’égard de la lutte mondiale contre le racisme et la discrimination pour concrétiser des changements systémiques? En tant que législateurs, comment pouvons-nous favoriser la tenue de ces conversations essentielles et élaborer des politiques inclusives qui améliorent notre société?

Avant de pouvoir nouer des relations avec les communautés marginalisées, nous devons d’abord comprendre l’histoire du Canada. Nous devons écouter attentivement les histoires difficiles de ceux qui souffrent et qui subissent de la discrimination quotidiennement avant d’exprimer nos propres opinions. Si nous voulons être à la hauteur de notre réputation, à savoir celle d’un pays multiculturel, diversifié et inclusif, nous devons en faire davantage pour prendre conscience de nos préjugés et les combattre.

Nous devons poursuivre les recherches qui nous aideront à élaborer des politiques efficaces fondées sur la compréhension mutuelle et nous engager à faire front commun avec ceux qui ont besoin de nous. Les mesures que nous prenons collectivement doivent nous inciter à opérer des changements durables non seulement au sein de nos institutions, mais aussi à l’intérieur de nous.

En terminant, j’aimerais vous faire part d’un ancien proverbe juif qui dit : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière. »

Honorables sénateurs, le changement repose sur un processus graduel qui commence par soi-même. Le rôle de chacun d’entre nous est d’ouvrir notre esprit; de non seulement participer à la discussion, mais aussi faire preuve d’écoute; d’utiliser les ressources éducatives pour améliorer nos connaissances et les partager; et de suivre les chefs de file qui luttent contre le racisme et la discrimination. C’est ce qui ouvrira la voie pour amorcer le changement dans nos foyers et nos communautés, en espérant que d’autres seront inspirés à faire de même.

Le travail qui nous attend est une responsabilité commune, et le premier pas se fait dès maintenant.