Discours et déclarations

Discours sur le projet de loi S-202, Loi prévoyant l’établissement et la tenue d’un registre national des instruments médicaux

2 novembre 2011

Honorables sénateurs, pour tous les projets de loi dont ils sont saisis, les législateurs doivent évaluer et examiner les coûts et les avantages pour la société. Le projet de loi S- 202 nous rappelle, une fois de plus, à quel point cette tâche est essentielle et souvent difficile.

Le projet de loi S-202 vise à instaurer un registre national des instruments médicaux, à participation volontaire, qui contiendra le nom et l’adresse des personnes qui utilisent des instruments médicaux implantables ou des instruments médicaux réglementaires pour usage à domicile.

Honorables sénateurs, depuis la première fois où il a été présenté, en 2003, le projet de loi a été étudié, examiné et débattu au Sénat ainsi qu’à l’autre endroit. Au cours de ces années, il a été coiffé de six titres différents, et on l’a renvoyé à deux reprises au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Chaque fois que le Sénat en a été saisi, les mêmes questions ont été soulevées : le projet de loi outrepasse-t-il les compétences fédérales? Comment fonctionnera-t-il sans l’appui des provinces et des territoires? Quelle incidence aura-t-il sur les renseignements personnels des Canadiens?

Au fil des ans, plusieurs demandes d’instauration d’un registre des patients utilisant des instruments médicaux ont été présentées. Chaque fois, Santé Canada a examiné avec soin la question de l’instauration et de la tenue de registres nationaux et s’est intéressé notamment aux avantages potentiels et aux coûts connexes de ces registres.

Honorables sénateurs, nous convenons tous que la santé et la sécurité sont des questions primordiales pour les Canadiens. Examinons d’abord le régime actuel en ce qui concerne les instruments médicaux. Depuis son entrée en vigueur en 1998, le Règlement sur les instruments médicaux, qui est administré par Santé Canada, vise à permettre aux Canadiens d’utiliser des instruments médicaux sûrs, efficaces et de grande qualité. Il se fonde sur un principe de base selon lequel on peut plus facilement assurer la sûreté et l’efficacité d’un instrument en mettant en œuvre une combinaison équilibrée de normes encadrant le système de gestion de la qualité, de tests précédant la mise en marché et de mesures ultérieures de suivi.

En fait, le Règlement sur les instruments médicaux, prévu par la Loi sur les aliments et drogues, donne actuellement à Santé Canada le pouvoir de réglementer la sûreté des instruments et d’imposer des règles aux fabricants. Les mécanismes actuellement en vigueur ne compromettent pas la protection des renseignements personnels, ils ne diminuent pas le rôle des médecins et ils n’empiètent pas sur les pouvoirs de régulation de la pratique médicale que détiennent les provinces et les territoires. Tout cela contraste singulièrement avec le projet de loi.

Il convient peut-être de noter que l’expression « instrument médical » englobe un large éventail de produits utilisés pour le traitement et la prévention des maladies, ainsi que pour l’atténuation des symptômes et l’établissement de diagnostics. Santé Canada répartit ces produits dans des classes de risque. Les instruments médicaux de classe I comprennent des articles de maison courants comme les brosses à dents et les pansements, tandis que la classe IV, la catégorie de risque la plus élevée, regroupe des instruments de haute technologie comme les stimulateurs cardiaques et les pompes à médicaments implantables. Santé Canada maintient des bases de données électroniques sur tous les instruments médicaux homologués de classe II, III ou IV.

En plus de superviser l’assurance de la qualité des instruments avant leur mise en marché, les dispositions et les mécanismes actuels comprennent les deux éléments obligatoires de la surveillance après la mise en marché, lesquels sont aussi les plus pertinents pour ce projet de loi : l’enregistrement du nom des personnes qui reçoivent des instruments médicaux implantables et l’obligation de signaler les problèmes. Ensemble, ces deux éléments favorisent la communication en temps opportun des risques à l’ensemble des hôpitaux et des médecins canadiens, ainsi qu’au grand public. De plus, les fabricants, les importateurs et les distributeurs sont tenus de conserver des registres de distribution, d’avoir des procédures écrites pour traiter les plaintes et pour enquêter sur celles-ci, ainsi que de rappeler les instruments défectueux. Les fabricants et les importateurs doivent également déclarer à Santé Canada les problèmes graves mettant en cause des instruments qu’ils ont vendus.

L’Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments est responsable des activités de conformité et d’application de la loi liées aux instruments médicaux. Son système de classification fondé sur les risques surveille les rappels de produits ordonnés par des entreprises en temps réel. Même si, en vertu de la loi, le fabricant qui émet un rappel est tenu de faire état des détails, il arrive souvent que Santé Canada publie aussi un communiqué de presse à ce sujet.

Honorables sénateurs, concentrons-nous sur les deux éléments obligatoires de la surveillance après la mise en marché, soit l’enregistrement et la production de rapports.

Pour ce qui est de l’enregistrement, le règlement actuel prévoit des exigences visant à assurer le suivi des instruments implantables à haut risque. Les instruments assujettis à ces exigences sont énumérés à l’annexe 2 du règlement. L’information recueillie comprend un numéro d’identification unique de l’hôpital. L’hôpital peut établir un lien entre son propre numéro et les renseignements personnels fournis pour un patient au moment de la chirurgie. Le patient reçoit également une carte d’enregistrement d’implant qui identifie clairement le fabricant et le produit reçu pendant la chirurgie. Le patient doit aussi accepter de participer à un processus en vertu duquel ses renseignements personnels sont transmis au fabricant. Le système actuel assure la protection des renseignements personnels du patient.

Lorsqu’un problème avec un instrument médical est signalé, le fabricant doit fournir un rapport très détaillé, y compris le nom de l’instrument faisant l’objet d’un rappel, la raison du rappel, le nombre d’instruments visés au Canada et les listes de distribution de l’instrument. Ces rapports, qui sont exigés par le règlement, permettent de retrouver plus facilement les acheteurs, qui sont habituellement des hôpitaux. Il incombe aux hôpitaux d’informer les patients et les chirurgiens concernés. Ce système de signalement fonctionne bien pour plusieurs raisons. Le patient reçoit généralement l’information d’un professionnel de la santé qu’il connaît bien et qui peut commencer à remédier au problème en tenant compte de ses antécédents médicaux et de son état de santé. Par ailleurs, le patient reçoit l’information sur le rappel dans le cadre de la relation confidentielle qu’il entretient avec son médecin.

Pour ce qui est des mises en garde plus générales et des communications destinées au public, Santé Canada a fait des pas de géant pour entrer dans l’ère du numérique. Le site web de Santé Canada offre une mine d’information aux Canadiens. La section MedEffet présente aux consommateurs et aux professionnels de la santé des listes complètes d’avis, de mises en garde et de rappels. On y trouve aussi les sommaire des motifs de décision, qui contiennent le raisonnement scientifique initial et l’analyse comparative des risques et des avantages réalisée par Santé Canada dans la phase d’autorisation de l’instrument.

Les Canadiens peuvent également s’abonner à des mises à jour sur la santé et la sécurité, qu’ils reçoivent dans des fils RSS, sur Twitter ou par courriel. Ces alertes fournissent instantanément de l’information sur les avis concernant des médicaments et les rappels d’instruments. Ce système est efficace pour communiquer les risques. Il envoie les alertes en temps opportun, en toute confidentialité. Ces mesures montrent comment Santé Canada adapte ses services pour répondre aux besoins des Canadiens dans une société où la technologie prend de plus en plus de place.

Santé Canada invite aussi les consommateurs à signaler les effets indésirables d’instruments médicaux sur la santé dans le cadre du Programme Canada Vigilance ou en appelant une ligne sans frais du ministère. Outre le Programme Canada Vigilance, le Bulletin canadien des effets indésirables est une source d’information fort utile pour les consommateurs et les praticiens en santé. Il est clair que Santé Canada continue de prendre les mesures nécessaires pour rassembler l’information utile et la transmettre à la population.

Honorables sénateurs, l’établissement d’un registre national d’implants soulève un certain nombre de questions qu’il nous faut examiner, notamment le financement et les compétences des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les avantages d’un registre par rapport à son coût, la nécessité de protéger les renseignements personnels et d’obtenir un consentement éclairé, ainsi que les possibles questions de responsabilité légale pour le gouvernement fédéral, en tant qu’administrateur du système.

En vertu des lois et des règlements en vigueur concernant les compétences conférées au gouvernement fédéral par la Constitution, ce dernier est responsable de réglementer la vente et l’importation pour la vente des instruments médicaux. Selon la Loi sur les aliments et drogues et le Règlement sur les instruments médicaux, il incombe aux fabricants de veiller à ce que les instruments médicaux vendus au Canada respectent les normes de sûreté, d’efficacité et de qualité. Le projet de loi risque d’affaiblir le « devoir de diligence » des fabricants.

Par ailleurs, il incombe aux provinces et aux territoires de dispenser des services de soins de santé et, par le fait même, de réglementer l’exercice de la médecine par l’entremise d’organismes provinciaux et territoriaux de réglementation professionnelle. Il faut avoir l’appui des provinces et des territoires pour exiger des médecins et des autres professionnels de la santé qu’ils versent des données dans un registre.

Les registres ont toujours été sources de problèmes étant donné la confidentialité à respecter aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ni Santé Canada ni les fabricants n’ont directement accès à l’identité des patients en vertu du Règlement sur les instruments médicaux actuellement en vigueur. Pour établir une base de données nationale, un registre vraiment utile, il faut réunir divers renseignements personnels qui peuvent être recoupés et permettre d’identifier une personne, ce que notre cadre constitutionnel permet rarement, quelles que soient les circonstances.

La mise en place d’un registre des patients à l’échelle nationale serait très coûteuse. Un tel système devrait répondre aux besoins des médecins, des patients et des chercheurs. Il faudrait des ressources et un personnel suffisant pour contrôler et déceler les alertes et y réagir immédiatement. Aujourd’hui, il existe des registres établis par des organisations qui visent principalement à recueillir des renseignements après la mise en marché ou à fournir un service à la population moyennant des honoraires, comme dans le cas de MedicAlert et du Registre canadien des remplacements articulaires, administré par l’Institut canadien d’information sur la santé.

Je m’en voudrais de ne pas parler de la confusion à propos de la valeur informative des registres, surtout les registres volontaires. Les registres nous permettent de communiquer avec les patients qui ont décidé de s’inscrire et de conserver leurs données personnelles dans un dossier. Cependant, ils ne remplacent pas les essais cliniques randomisés ou d’autres études soigneusement conçues. Ils ne permettent pas de faire des estimations fiables du nombre d’incidents ou des résultats néfastes des traitements, et ils ne peuvent pas être utilisés afin de comparer les différentes options de traitement. Un registre volontaire, comme celui qu’on propose dans le projet de loi, ne sera jamais une source de données impartiale puisqu’il ne contient ni les renseignements concernant un groupe complet d’utilisateurs d’instruments médicaux, ni un sous-ensemble complet de patients qui ont utilisé un instrument défaillant ou qui n’a pas fonctionné correctement.

Honorables sénateurs, les avantages projetés d’un registre national volontaire ne justifient ni le coût élevé ni les graves problèmes associés à son établissement. Les dispositions obligatoires en vigueur pour signaler les problèmes concernant les instruments médicaux à Santé Canada aux termes du Règlement sur les instruments médicaux assurent le bon équilibre entre la protection des renseignements personnels et la réduction des dangers pour la santé. C’est pourquoi notre gouvernement s’oppose au projet de loi S-202.