11 juin 2018
Honorables sénateurs, les questions concernant la publicité et la promotion sont au cœur du débat sur le projet de loi C-45.
L’essor juridique d’une industrie naissante mettant en cause un produit qui présente des dangers confirmés pour la santé doit nous faire réfléchir aux conditions dans lesquelles cette industrie sera autorisée à mener ses activités. Deloitte a estimé que la valeur du marché de base de la vente au détail pour la marijuana à usage récréatif pourrait atteindre 22,6 milliards de dollars, ce qui dépasse la valeur du marché légal du tabac et de l’alcool pris ensemble. C’est dans ce contexte que nous devons réfléchir aux questions qui concernent la publicité, les emballages et la promotion du cannabis.
Bien entendu, toute industrie fait de la publicité et des promotions pour élargir sa clientèle. C’est une pratique courante. Nous ne connaissons que trop bien les techniques de marketing utilisées par les fabricants de spiritueux et de tabac pour maximiser la consommation de leurs produits, et par conséquent leurs profits. Rien ne laisse croire qu’il en sera autrement pour l’industrie canadienne du cannabis. Ces entreprises sont comme toutes les autres : elles sont motivées par le profit et gouvernées par le désir de créer de la valeur pour leurs actionnaires.
L’histoire récente a démontré à quel point il est difficile de contrôler ces industries légales. Nous avons connu des succès mitigés avec les restrictions à la publicité des produits de l’alcool et du tabac et à leur promotion, même si les résultats ont été beaucoup plus tangibles dans le cas des cigarettes.
Nous nous retrouvons toutefois devant une occasion unique en tant que législateurs. Nous pouvons partir de zéro avec un marché vierge. Si nous réglementons de façon stricte, dès le départ, le cannabis utilisé à des fins récréatives, nous réduirons la probabilité d’un conflit entre le gouvernement et une industrie qui cherchera à promouvoir activement ses produits.
Le Comité des affaires sociales a admis dans ses observations qu’une telle situation serait inévitable et a demandé au gouvernement d’imposer un moratoire de 10 ans sur l’assouplissement de la réglementation applicable à l’image de marque, au marketing et à la promotion du cannabis. Cette observation était fondée sur une recommandation de Jeunesse sans drogue Canada, ce même organisme avec lequel le gouvernement s’était associé au sujet de la brochure « Parler cannabis » à l’intention des parents.
Le gouvernement s’est effectivement fait dire plusieurs fois que la réussite ou l’insuccès de son système dépendrait des restrictions en matière de marketing. Les données obtenues au fil des ans à partir de notre expérience avec l’industrie du tabac montrent que des restrictions partielles visant le marketing, telles que celles qui sont proposées dans le projet de loi C-45, sont très peu dissuasives, car les entreprises se tournent simplement vers d’autres formes de publicité non interdites.
Honorables sénateurs, voilà pourquoi je propose au projet de loi C-45 un amendement qui a été soumis par l’Association pour les droits des non-fumeurs dans le but de s’attaquer à la question de l’extension de marque, une stratégie de marketing efficace qui permet de mieux faire connaître une marque afin de favoriser la consommation d’un produit. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-45 renferme une exception qui permet aux entreprises de distribuer des produits promotionnels susceptibles d’attirer les jeunes, dont l’emballage porte le logo de leur marque et de vagues mises en garde.
Malgré cela, nous assistons à une prolifération d’articles arborant le logo d’une entreprise de cannabis, notamment des t-shirts, des sacs à dos et des étuis de iPhone. Il serait irréaliste de croire que de tels articles n’auront pas un cachet spécial pour les adolescents; il suffit de repenser à ce qui s’est produit dans le cas du tabac. Nous savons que les entreprises compteront aussi sur un certain laxisme dans les dispositions d’application, particulièrement celles qui nécessitent une interprétation.
L’exemption relative à l’extension de marque fournit une échappatoire évidente en faveur de la promotion des marques, et ce, alors que cette mesure législative est supposément fondée sur des principes de santé publique.
Pippa Beck, de l’Association pour les droits des non-fumeurs, a dit, et je cite : « Le fait de permettre l’exposition d’éléments de marque sur un chandail, une casquette, une tasse ou toute autre chose n’est pas compatible avec une approche axée sur la santé publique. »
Si le paragraphe 17(6) du projet de loi C-45 était amendé de façon à interdire l’usage d’éléments de marque de cannabis sur des articles autres que le cannabis et les accessoires connexes, peu importe s’ils sont censés être attrayants pour les jeunes ou évoquer un mode de vie attirant, l’échappatoire serait éliminée, et on verrait probablement moins d’entreprises de cannabis tenter de cibler les jeunes Canadiens de façon détournée.
Il y a quelques mois, mon honorable collègue, le parrain de ce projet de loi, a attiré notre attention sur le rapport produit par le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Pendant le débat à l’étape de la deuxième lecture, le parrain de cette mesure a souligné qu’on peut lire, dans ce rapport, les principes qui sous-tendent la légalisation du cannabis proposée par le gouvernement. Il a ajouté que les recommandations du rapport offraient des conseils « remarquablement solides, éclairés et équilibrés ».
Le rapport propose 10 principes de base pour guider la réglementation de l’usage légal du cannabis. Ces principes devraient être considérés comme un point de départ, c’est-à-dire un ensemble d’exigences minimales pour un cadre réglementaire centré sur la santé publique. Le principe no 6 indique clairement que les gouvernements doivent, à tout le moins, « interdire le marketing, la publicité et le parrainage ».
Voici un long extrait du rapport du Centre de toxicomanie et de santé mentale, un rapport qui a l’aval de mon honorable collègue le parrain du projet de loi à l’étude :
D’après ce que nous savons pour l’alcool et le tabac, les acteurs du secteur privé dans un marché légal du cannabis vont chercher — comme toute entité motivée par la rentabilité — à repousser les frontières de la réglementation centrée sur la santé. Mais, contrairement à ce qui se passe pour le tabac et l’alcool, nous pouvons avoir au Canada la possibilité d’anticiper le conflit qui existe entre les objectifs de santé publique et le souci de la rentabilité:
« Pour la plupart des territoires de compétence, la question du cannabis est une table rase; une possibilité d’apprendre à partir des erreurs faites par le passé […] sans que la démarche ne s’oppose à une industrie commerciale légale à grande échelle. »
Il est curieux, alors, que le parrain de ce projet de loi se soit abstenu de voter sur un amendement qui renforcerait les restrictions imposées à l’industrie, lorsqu’il a été présenté au comité. Il est encore plus étrange que le rapport du Centre de toxicomanie et de santé mentale, cité pendant des années par le présent gouvernement comme corroborant la validité du projet de légalisation du cannabis, semble avoir disparu du site web du Centre. Qu’importe, je remercie mon collègue de nous en avoir remis un imprimé.
Le gouvernement dit ne pas vouloir promouvoir faire la consommation du cannabis, surtout auprès des jeunes. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-45 permettrait aux entreprises de cannabis de distribuer gratuitement des t-shirts, des casquettes et d’autres articles promotionnels, comme des étuis pour iPhone. La disposition va totalement à l’encontre de l’objectif énoncé dans le projet de loi et, de surcroît, elle est inapplicable. Qui décidera si un article est « attrayant pour les jeunes »? Qui agira pour enrayer la prolifération de ces produits?
Honorables sénateurs, permettez-moi de citer de nouveau Marc Paris, de l’organisme Jeunesse sans drogue :
L’approche du gouvernement en matière de légalisation du cannabis consommé à des fins récréative avait pour objectif de mieux réglementer et contrôler la vente et la distribution du cannabis afin de protéger nos enfants. Ne laissons pas la porte entrouverte à l’exploitation de nos enfants par les grandes entreprises.
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-45, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 17, à la page 19, par suppression des lignes 16 à 27.