15 novembre 2017
Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-277, Loi visant l’élaboration d’un cadre sur les soins palliatifs au Canada. Plus précisément, je tiens à souligner l’urgence d’adopter le projet de loi et l’importance de le mettre en œuvre de façon rapide et efficace.
Chaque année, des milliers de Canadiens souffrent inutilement parce qu’ils n’ont pas accès à des soins palliatifs. Selon une étude menée par la Société canadienne du cancer en 2016, le système comporte des failles, il n’existe aucune définition commune des soins palliatifs et il y a un manque de renseignements concernant les services offerts dans chaque région du Canada. Au moment de la publication du rapport, Gabriel Miller, de la Société canadienne du cancer, a confirmé ce que nous savons depuis longtemps :
« C’est un secret honteux du système de santé canadien : depuis de nombreuses années, il y a d’importantes lacunes dans les soins que nous prodiguons aux Canadiens les plus malades, surtout quand la fin de leur vie approche. »
Honorables sénateurs, la situation actuelle est inacceptable dans un pays comme le Canada, où on se targue de rendre les soins de santé accessibles à tout le monde. Nous laissons tout simplement tomber les plus vulnérables au moment où ils ont le plus besoin de notre aide.
Ce n’est pas la première fois que les parlementaires sont placés devant des propositions visant à améliorer l’accès aux soins palliatifs pour les Canadiens. En 2011, le Comité parlementaire sur les soins palliatifs et les soins de compassion a publié un rapport intitulé On ne les oublie pas : Les soins aux Canadiens vulnérables. En 2014, la motion d’initiative parlementaire M-456 demandait l’établissement d’une stratégie pancanadienne de soins palliatifs et de fin de vie.
Comme d’innombrables témoins experts nous l’ont déclaré, le moment est venu d’agir. Heureusement, on ne part pas de zéro. On a recueilli un large éventail de renseignements et de ressources pour orienter l’établissement d’un cadre national pour les soins palliatifs. Je tiens à souligner l’excellent travail accompli par l’initiative Aller de l’avant, dirigée par la Coalition pour des soins de fin de vie de qualité du Canada, qui est gérée par l’Association canadienne de soins palliatifs et financée par l’ancien gouvernement conservateur.
L’initiative Aller de l’avant a abouti à la création d’une feuille de route exhaustive pour l’intégration de l’approche palliative des soins. Le rapport, publié en 2015, offre des ressources et des outils pratiques pour appuyer les gouvernements, les décideurs, les planificateurs régionaux et les organismes et les fournisseurs de soins de santé. Ce document répond clairement à des questions qui ont été soulevées au comité et dans cette enceinte au sujet de cette mesure législative, et j’encourage tous les sénateurs à le lire.
Dès 2015, j’ai eu le grand privilège de siéger au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, en compagnie de collègues du Sénat et de l’autre endroit. Tous ceux qui ont siégé à ce comité ont immédiatement compris que, si le Canada ne disposait pas d’un régime de soins palliatifs accessible et universel, il serait extrêmement difficile de légiférer en matière d’aide médicale à mourir. En effet, tous les témoins qui ont abordé la question ont convenu que le Canada doit en faire davantage pour améliorer l’accès aux soins palliatifs.
Le rapport final du comité mixte contenait des recommandations importantes concernant les soins palliatifs qui sont en accord direct avec le cadre prévu dans le projet de loi C-277. Dans le rapport, nous avons demandé à Santé Canada de rétablir le Secrétariat des soins palliatifs et des soins de fin de vie. Nous lui demandions aussi de travailler avec les provinces, les territoires et la société civile pour développer un modèle souple et intégré de soins palliatifs, en mettant en œuvre une stratégie pancanadienne en matière de soins palliatifs et de soins de fin de vie assortie d’un financement réservé, et en organisant une campagne de sensibilisation du public sur la question.
Depuis, nous avons pris connaissance des chiffres effarants : seulement 30 % des Canadiens ont accès à des soins palliatifs de haute qualité lorsqu’ils en ont besoin. Évidemment, ce problème est particulièrement aigu dans les régions rurales et éloignées. Cependant, il y a encore énormément de choses que nous ignorons au sujet des soins palliatifs. Voilà pourquoi l’objectif du cadre, qui est de promouvoir la recherche et la collecte de données, est crucial.
Une recherche scientifique rigoureuse est essentielle afin d’inspirer les cliniciens et les décideurs à prendre des décisions éclairées fondées sur des données probantes. Cependant, la recherche sur les soins palliatifs n’a jamais eu d’ardents défenseurs sur la place publique. Par conséquent, en raison de la petite quantité de données, le milieu de la recherche en santé est limité quant à sa capacité de mesurer et de rendre compte des services et des pratiques en matière de soins palliatifs dans l’ensemble du secteur de la santé. Notre compréhension limitée confirme qu’il nous faut de meilleures données afin d’élaborer des façons de mesurer plus efficacement la qualité des soins palliatifs et de fin de vie du Canada et l’accès à ceux-ci en temps voulu.
Le plus récent rapport du Partenariat canadien contre le cancer, publié en septembre 2017, détermine trois grands obstacles et écarts qu’il faut éliminer pour changer la situation. Premièrement, il faut mieux comprendre les particularités des soins palliatifs et de fin de vie offerts aux patients dans l’ensemble des services de santé, y compris dans les hôpitaux de soins actifs, les cliniques externes, les résidences, les centres de soins et les établissements de soins de longue durée. Deuxièmement, il est primordial que l’on en apprenne davantage sur la concordance entre, d’une part, les préférences des patients et les objectifs des soins qu’ils reçoivent et, d’autre part, les soins qu’on leur prodigue réellement. À ce jour en 2017, aucune donnée nationale n’est recueillie de façon systématique pour recenser les besoins des personnes et le choix du lieu de décès. Enfin, les renseignements sur les variations d’un endroit à l’autre en matière d’accès aux soins palliatifs communautaires permettront de trouver des solutions pour traiter les disparités régionales en matière de services.
L’engagement du cadre à l’égard de la recherche et de la collecte de données permettra aussi d’améliorer l’accès aux soins basés sur des données probantes, la capacité d’évaluer les interventions, et la qualité de la formation pour les travailleurs de la santé.
Le Dr Bernard Lapointe, directeur des soins palliatifs à l’Université McGill et chef des services de soins palliatifs à l’Hôpital général juif, a dit ceci au sujet de l’importance de la formation :
« La mort n’est pas une option, nous y sommes tous confrontés un jour; le soutien et la formation à cet égard ne devraient pas être facultatifs. Chaque fournisseur de soins devrait posséder les connaissances de base en matière de soins palliatifs. »
L’importance accordée par le projet de loi C-277 à la formation en soins palliatifs et aux besoins en formation des fournisseurs de soins et des autres aidants naturels vise à trouver des solutions à cette lacune en matière de connaissances. Au comité, nous avons entendu que la plupart des médecins et des infirmières ne sont pas formés pour prodiguer des soins palliatifs. En moyenne, les étudiants en médecine et en soins infirmiers reçoivent aussi peu que 20 heures de formation sur les soins palliatifs et les soins de fin de vie.
La Société canadienne de gériatrie a indiqué qu’étant donné cette situation, les fournisseurs de soins de santé peuvent utiliser les mauvais médicaments ou administrer des doses trop faibles par crainte de « précipiter la mort », ce qui occasionne des souffrances inutiles. L’Association canadienne de soins palliatifs a confirmé qu’il fallait établir un programme national de formation et assurer le perfectionnement professionnel continu des fournisseurs de soins de santé, dans l’ensemble des milieux de soins, pour accroître la compétence et la confiance afin de garantir une approche palliative.
Le rapport Aller de l’avant fait remarquer que, bien que ce genre d’évolution nécessite des changements à la formation des fournisseurs de soins de santé, il faut aussi des défenseurs dans tous les milieux de prestations des soins et dans toutes les professions. La bonne nouvelle est que les outils sont prêts. En tirant profit des initiatives de formation existantes, comme le programme Former les futurs médecins dans les soins palliatifs et de fin de vie, le programme Les essentiels de l’approche palliative, ainsi que les compétences essentielles en soins palliatifs normalisées à l’échelle nationale pour les infirmières et les travailleuses sociales et établies par les professionnels et les formateurs dans ces domaines, nous pouvons adapter ces programmes pour nous concentrer sur une approche intégrée des soins palliatifs.
Avant de conclure mes observations, je rappelle aux sénateurs l’examen et les rapports prévus aux articles 3 et 4 du projet de loi. Dans l’année suivant l’adoption de cette mesure législative, le ministre de la Santé doit préparer un rapport énonçant le cadre sur les soins palliatifs. Dans les cinq années suivantes, le ministre doit préparer un rapport sur l’état des soins palliatifs au Canada et le faire déposer devant chaque Chambre du Parlement.
Je ne saurais trop insister sur l’importance de tenir une consultation tout au long de l’élaboration du cadre, surtout avec les partenaires communautaires. Compte tenu du volume de soins palliatifs dispensés à l’extérieur des hôpitaux et des établissements de soins de longue durée, il est d’une importance capitale que les représentants communautaires locaux aient leur mot à dire. C’est particulièrement important quand on se rappelle que la majeure partie des fonds pour les maisons de soins palliatifs sont recueillis par des organismes communautaires sous forme de dons de la population. C’est pour cela que les représentants du secteur communautaire doivent être traités comme des partenaires estimés et au même niveau que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.
Honorables sénateurs, le système de santé du Canada a été créé il y a près de 50 ans, lorsque la population dépassait à peine 20 millions d’habitants et que les Canadiens avaient une espérance de vie de 70 ans. Aujourd’hui, nous avons une population qui dépasse largement les 30 millions, et les Canadiens vivent en moyenne une bonne décennie de plus. Le vieillissement rapide de la population pose l’un des problèmes de politique publique les plus pressants. Une stratégie complète qui répond aux besoins chroniques et complexes de la population vieillissante doit prévoir l’accès à des soins palliatifs de qualité. Le projet de loi C-277 contribuerait à ce que les Canadiens puissent recevoir les soins de fin de vie dont ils ont besoin, dans la tranquillité et le confort qu’ils méritent.