9 mars 2017
Honorables sénateurs,
Il y a plus de 50 ans, la campagne de santé publique la plus fructueuse de l’histoire du Canada était lancée par la ministre fédérale de la Santé de l’époque, Judy LaMarsh. Le 17 juin 1963, elle a déclaré ce qui suit à l’autre endroit :Il été démontré scientifiquement que l’habitude de fumer la cigarette contribue au cancer des poumons et peut aussi être cause de la bronchite chronique et de coronarite.
Dans un monde où le tabagisme était fermement ancré dans la culture et synonyme de plaisir, de relaxation et de loisir, le discours de la ministre a fait l’effet d’une bombe. Il marquait également le début de la fin du déni total, même au sein des sociétés productrices de tabac, quant à l’existence de preuves des risques liés à l’usage du tabac.
Fait à noter, le lendemain de l’admission faite par Judy LaMarsh à l’autre endroit quant à l’accumulation des preuves et à l’impossibilité de continuer à les nier, une des plus grandes multinationales du tabac annonçait qu’elle cessait la diffusion de ses publicités avant 21 heures, afin d’éviter que les enfants ne les voient.
Ainsi débutait, au Canada et ailleurs dans le monde, un demi- siècle d’efforts en vue d’enrayer le problème de santé publique que représente le tabagisme. À l’époque, 61 p. 100 des hommes et 38 p. 100 des femmes étaient des fumeurs, soit environ la moitié des Canadiens. Aujourd’hui, 13 p. 100 des Canadiens font usage du tabac.
La première loi qui visait à interdire les publicités de cigarettes est entrée en vigueur en 1989, avant d’être annulée par la Cour suprême du Canada en 1995. À l’heure actuelle, deux lois fédérales encadrent les produits du tabac et leur usage : la Loi sur le tabac, administrée par Santé Canada depuis 1997, et la Loi sur la santé des non- fumeurs, administrée par Emploi et Développement social Canada.
En 2001, le gouvernement a adopté la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme. Elle était axée sur la prévention du tabagisme chez les enfants et les jeunes, l’encouragement à cesser de fumer et la prévention de la fumée secondaire. En 2005, le Canada a adhéré à la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’OMS.
Il est important aujourd’hui de garder ces événements à l’esprit tandis que nous essayons de comprendre le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur le tabac, la Loi sur la santé des non-fumeurs et d’autres lois en conséquence, qui a été déposé au Sénat. Le projet de loi S-5 vise essentiellement à modifier la Loi sur le tabac afin d’y ajouter les produits de vapotage et de les réglementer, à titre de catégorie distincte de produits, et de modifier en conséquence d’autres lois.
Le projet de loi S-5 a également pour but de resserrer la réglementation de certains produits du tabac. Nous devons maintenant nous interroger sur la façon de réglementer un nouveau produit tel que la cigarette électronique. Il y a en fait des points de vue divergents au Canada sur ce qu’il convient de faire dans ce cas : adopter des règlements, attendre d’autres données relativement à ce produit ou encore interdire carrément la cigarette électronique.
Pour commencer à penser au projet de loi S-5 dont nous sommes actuellement saisis, nous devons définir les grandes questions à affronter. Qu’est-ce que le vapotage et qu’est-ce que la cigarette électronique? Quelle est la prévalence de la cigarette électronique dans la population canadienne? Quelles données scientifiques a-t-on recueilli jusqu’ici sur le vapotage et l’innocuité des cigarettes électroniques? Quelle est l’expérience des autres pays? Pour quelles raisons devons-nous légiférer maintenant?
Honorables sénateurs, beaucoup d’entre nous ne connaissent ni la cigarette électronique ni le vapotage. Créée en 2003 par un pharmacien chinois et introduite pour la première fois aux États- Unis en 2007, la cigarette électronique fait partie d’une catégorie de produits appelés « inhalateurs électroniques de nicotine ». La cigarette électronique, dispositif à pile conçu pour ressembler à une cigarette ordinaire, permet de fournir à l’utilisateur, par inhalation, un aérosol contenant de la nicotine. Le dispositif le fait en chauffant une solution liquide composée de propylèneglycol comme porteur, avec ou sans glycérine, de nicotine et de toute une gamme d’autres additifs et saveurs. Les saveurs sont nombreuses : tabac, café, menthe, fruits, bonbons, alcools et même melon, maïs éclaté et gâteau au fromage parfumé à la cerise.
La teneur en nicotine n’est pas réglementée, et les utilisateurs peuvent modifier beaucoup des produits contenus dans le liquide et s’en servir aussi pour ajouter d’autres drogues telles que le cannabis.
Les cigarettes électroniques utilisées aujourd’hui témoignent d’importants progrès technologiques et sont constamment perfectionnées pour répondre à la demande du marché. Toutefois, il y a beaucoup de variantes dans la technologie de la cigarette électronique, ce qui donne lieu à différents mécanismes de chauffage et de conversion de la solution en aérosol. Dans tous les cas, les piles, rechargeables ou non, et les cartouches, réutilisables ou non, font partie de la technologie de la cigarette électronique. Certaines permettent de modifier la longueur et la fréquence des bouffées ainsi que le degré de chaleur.
La pénétration du marché a été rapide, avec une participation croissante des grandes multinationales de tabac. On dit que les chiffres d’affaires doublent chaque année aux États-Unis depuis 2008. Selon les estimations actuelles, le marché mondial des produits de vapotage atteindra 10 milliards de dollars cette année et devrait dépasser celui de la cigarette ordinaire au cours de la prochaine décennie.
Contrairement à la cigarette conventionnelle, la cigarette électronique est commercialisée à la télévision, sur Internet et dans les journaux comme produit plus sain pouvant remplacer le tabac et pouvant aider à cesser de fumer et à réduire le tabagisme. Toutefois, les données recueillies ne suffisent pas pour appuyer ces affirmations et sont très insuffisantes s’il s’agit d’évaluer le risque de ces produits à long terme.
Beaucoup de questions importantes restent sans réponse, notamment au sujet de la sécurité de la cigarette électronique pour l’utilisateur et les gens qui l’entourent, son efficacité pour réduire le préjudice et encourager les gens à cesser de fumer, son rôle parmi les jeunes comme produit de transition vers le tabac et ses effets globaux sur la santé publique.
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes et d’adultes utilisent à la fois la cigarette ordinaire et la cigarette électronique. Les toxines auxquelles les utilisateurs sont exposés et leurs effets sur la santé n’ont pas encore été évalués dans ce contexte particulier. Je vais essayer de donner un aperçu concis des données recueillies sur ces grandes questions, en sachant que, lorsque le projet de loi S-5 sera étudié au comité, des témoins experts nous présenteront les données scientifiques qui nous guideront dans notre processus de décision législatif.
L’une des premières questions à se poser concerne l’étendue de ce nouveau phénomène de vapotage. Quelle est la prévalence de l’utilisation de la cigarette électronique?
Il est essentiel de comprendre l’utilisation de cette cigarette, surtout parmi les jeunes, parce que les recherches antérieures portent à croire que 90 p. 100 des fumeurs adultes ont fumé leur première cigarette dans l’adolescence. Les études épidémiologiques basées sur la population indiquent qu’un peu partout dans le monde, la cigarette électronique est le plus souvent utilisée en même temps que la cigarette ordinaire. Parmi les jeunes adultes, environ 25 p. 100 des fumeurs actuels, 12 p. 100 des anciens fumeurs et 3 p. 100 des non- fumeurs utilisent la cigarette électronique. L’utilisation simultanée des deux produits est très courante aux États-Unis parmi les élèves du secondaire, dont 80 p. 100 utilisent les deux produits.
Au Canada, en 2015, 25 p. 100 des jeunes Canadiens de 15 à 19 ans et 33 p. 100 des jeunes adultes de 20 à 24 ans ont déclaré avoir au moins essayé la cigarette électronique. D’après l’Enquête canadienne 2014-2015 sur le tabac, l’alcool et les drogues chez les élèves, 18 p. 100 des élèves de la 6e à la 12e année ont essayé la cigarette électronique. La même proportion, 18 p. 100, n’a jamais fumé une cigarette traditionnelle. Au Canada, le taux global de tabagisme est passé de 22 p. 100 en 2001 à 13 p. 100 en 2015, mais le rythme de la diminution semble s’être ralenti ces dernières années.
Pour répondre à ce qui est maintenant considéré comme un besoin de plus en plus important, à cause de l’utilisation croissante de la cigarette électronique au cours de la dernière décennie, il y a actuellement plus de recherche scientifique sur sa sécurité. L’analyse des articles publiés montre que les données recueillies ont augmenté à un rythme exponentiel depuis 2012, le nombre d’études réalisées étant passé de moins de 100 à plus de 1500 en 2016. Toutefois, la plupart de ces études ne mentionnent pas l’échantillon examiné, parlent d’un échantillon trop petit ou n’abordent pas certaines des questions les plus importantes.
Il y a eu au moins deux importants examens des études publiées sur la cigarette électronique au cours des deux dernières années. Trois petits essais cliniques à caractère aléatoire — ce sont les plus recherchés — ont été réalisée jusqu’ici. Il importe de noter que 14 autres essais sont actuellement en cours. Ils fourniront de très importantes données sur l’utilisation et l’innocuité des cigarettes électroniques.
Les trois petits essais réalisés ne semblent pas vraiment confirmer l’efficacité de ces cigarettes pour aider les gens à cesser de fumer et ne révèlent pas de graves effets préjudiciables à court terme. L’innocuité à long terme demeure inconnue.
Il y a quatre grandes questions à considérer quand on examine les données scientifiques sur le vapotage et l’innocuité des cigarettes électroniques. J’y ai déjà fait allusion : efficacité comme moyen d’aider à cesser de fumer; importance, pour les jeunes, à titre de produit de transition vers le tabac; toxicité des émissions dans la vapeur inhalée; et, enfin, risques possibles de l’exposition secondaire à la vapeur.
Le nombre d’études réalisées jusqu’ici étant limité, il n’y a pas de preuves suffisantes selon lesquelles les cigarettes électroniques aident vraiment les gens à cesser de fumer. Toutefois, même si les données sont limitées, il est généralement admis que ces cigarettes sont moins nocives que les cigarettes de tabac.
En 2016, 24 études, y compris les trois essais cliniques à caractère aléatoire, ont fait l’objet d’un examen. Deux des essais cliniques, auxquels 662 personnes avaient participé, ont montré que les utilisateurs de cigarettes électroniques à la nicotine étaient plus susceptibles de cesser de fumer pendant au moins six mois, par rapport aux membres du groupe témoin qui avaient utilisé un placebo sans nicotine.
Un autre essai, qui a permis de comparer les cigarettes électroniques aux timbres de nicotine, a révélé des efficacités comparables dans les taux de renoncement au tabac pendant six mois. Au chapitre de la sûreté, aucun des essais n’a montré des différences sensibles entre la cigarette électronique et les placebos.
Certains croient que les cigarettes électroniques sont moins nocives parce qu’elles réduisent l’exposition au tabac en feuille. Par exemple, les risques cardiovasculaires liés à la fumée dépendent de la dose absorbée. Ainsi, on réduit le risque en faisant passer la consommation d’un paquet à 10 cigarettes par jour.
On craint que la cigarette électronique ne constitue un produit de transition vers le tabac pour une nouvelle génération d’utilisateurs. On ne dispose pas encore de résultats concluants, mais un récent examen de l’Université de Victoria permet de croire que le tabagisme diminue sensiblement aux États-Unis, au Canada et dans d’autres pays parmi les jeunes de 12 à 19 ans tandis que l’utilisation des produits de vapotage est en hausse.
Le directeur du Service de santé publique des États-Unis a publié en 2016 un rapport selon lequel 25 p. 100 des élèves de la 6e à la 12e année ont essayé la cigarette électronique. D’après le même rapport, l’exposition à la nicotine dans l’adolescence peut nuire aux fonctions cognitives et au développement. La question critique qui reste est que la nicotine engendre une forte dépendance. Les cigarettes électroniques peuvent encourager les gens à renoncer au tabac, mais l’absorption de nicotine peut, en fin de compte, mener à la consommation de produits conventionnels du tabac.
Du point de vue de la santé publique, il reste à déterminer si les cigarettes électroniques contribueront à une normalisation renouvelée du tabagisme et de la consommation de produits du tabac.
Il y a de sérieuses préoccupations au sujet des effets sur la santé des dispositifs émettant des vapeurs et des composés contenus dans l’aérosol. Les vapeurs ne contiennent pas de goudron, et 61 des 79 toxines de la cigarette y sont absentes. Toutefois, les produits de vapotage actuellement commercialisés ne sont pas réglementés, et il y a beaucoup de lacunes dans les normes et les méthodes de détermination des émissions des dispositifs. Une étude réalisée en 2016, qui a paru dans le magazine Environmental Science and Technology, a déterminé la présence dans les vapeurs de plus de 31 composés et a noté que beaucoup d’autres n’ont pas encore été identifiés.
Selon le rapport que l’Université de Victoria vient de publier sous le titre Clearing the Air : A systematic review on the harms and benefits of e-cigarettes and vapour devices, aucune étude indépendante n’a mesuré les émissions de 1,3-butadiène, qui est la principale source des risques de cancer dans les cigarettes de tabac. La cigarette électronique elle-même, selon son modèle, son courant, son nombre de spires et son accumulation de produits dérivés découlant de la dégradation par chauffage du liquide, produit des émissions nocives omniprésentes. Ainsi, le risque des émissions diffère selon les produits et dépend aussi dans une certaine mesure de la fréquence et de l’intensité des bouffées prises par l’utilisateur.
L’exposition secondaire à la vapeur des cigarettes électroniques a fait l’objet de certains essais qui ont révélé qu’elle est moins toxique que la fumée de cigarette parce qu’elle ne contient ni oxyde de carbone ni composés organiques volatils. Toutefois, la vapeur entraîne l’absorption de quantités mesurables de nicotine par les personnes présentes, mais on ne sait pas encore comment mesurer le risque. Ce qui ressort de tous les essais portant sur l’exposition secondaire, c’est qu’il faut procéder à davantage de tests, car les résultats relatifs aux émissions de particules, de métaux et d’autres substances se contredisent.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-5 modifie la Loi sur le tabac, la Loi sur la santé des non-fumeurs, la Loi sur les aliments et drogues et la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation. L’intention est de rendre ces lois compatibles avec l’objet premier du projet de loi S-5, c’est-à-dire réglementer les produits de vapotage à titre de catégorie distincte de produits en vertu de la Loi sur le tabac. De ce fait, cette dernière loi est rebaptisée Loi sur le tabac et les produits de vapotage.
Le titre intégral du projet de loi S-5 est le suivant : Loi réglementant la fabrication, la vente, l’étiquetage et la promotion des produits du tabac et des produits de vapotage. Bien sûr, il comprend les nouvelles définitions nécessaires relatives au vapotage et aux cigarettes électroniques.
Le projet de loi S-5 est une mesure législative complexe qui met également en œuvre des dispositions sur la banalisation des emballages des produits du tabac. Aujourd’hui, j’ai l’intention de concentrer mes propos sur les questions les plus controversées dont m’ont parlé de nombreux intervenants ces deux derniers mois. Ces intervenants comprennent des associations, des sociétés et des organismes de bienfaisance du secteur de la santé qui représentent des patients, des consommateurs, des chercheurs et des professionnels de la santé, de même que des fabricants, des détaillants, des travailleurs et des services de police.
Tout d’abord, il est important de savoir que la nicotine, à titre de drogue, est assujettie aux exigences de la Loi sur les aliments et drogues et doit être autorisée avant commercialisation par Santé Canada sur la base de critères de sécurité, d’efficacité et de qualité. J’ai été extrêmement surprise d’apprendre qu’aucun produit de vapotage n’a été autorisé jusqu’ici au Canada et que tous les produits contenant de la nicotine sont vendus sur le marché clandestin.
Les produits de vapotage sans nicotine et sans allégations thérapeutiques sont légalement vendus sans autorisation et sont assujettis à la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation plutôt qu’à la Loi sur le tabac.
C’est la situation actuelle du marché du vapotage et des cigarettes électroniques au Canada. De toute évidence, c’est une situation qui ne tient pas compte de l’utilisation croissante de ces produits par des jeunes ainsi que par les fumeurs adultes actuels. Tous les intervenants s’entendent pour dire que le leadership fédéral est nécessaire dans ce domaine.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-5 ne modifie pas simplement la Loi sur le tabac et n’applique pas aux produits de vapotage toutes les exigences et restrictions liées aux produits du tabac. Le projet de loi fait plutôt des exceptions ou offre des solutions de remplacement.
Par conséquent, quelle différence le projet de loi S-5 fait-il entre les cigarettes ordinaires et les cigarettes électroniques? C’est un domaine dans lequel il y a une certaine controverse.
Il importe de noter que les restrictions imposées sur l’accès des mineurs aux produits du tabac s’appliqueront aussi aux jeunes âgés de produits de vapotage. Il est donc interdit d’en vendre aux moins de 18 ans et d’en mettre dans les distributeurs automatiques, et il est obligatoire de vérifier l’âge en cas de livraison postale d’achats faits en ligne.
De plus, les arômes dont les jeunes sont friands sont interdits, comme les arômes de bonbons, de desserts, de cannabis, de boissons gazeuses et de boissons énergisantes. De même, la fabrication, la promotion et la vente de produits de vapotage contenant des ingrédients donnant l’impression d’avoir des effets positifs sur la santé— comme les acides aminés, les probiotiques, la caféine et les vitamines — sont interdites.
Toutefois, jusqu’ici, aucune norme relative aux concentrations maximales de nicotine n’a été établie.
Il est probable que l’aspect le plus controversé du projet de loi concerne la commercialisation et la promotion. Tandis que la quasi- totalité des activités de marketing sont interdites dans le cas des cigarettes de tabac, ce n’est pas le cas pour les cigarettes électroniques. Il sera ainsi permis de faire sans restriction ce qu’on appelle la « publicité d’information » : marques, logos, ingrédients et prix pourront paraître sur Internet, à la télévision, sur des placards publicitaires et à d’autres endroits.
Les avertissements relatifs à la santé se limiteront exclusivement à la concentration en nicotine et à l’accoutumance. Il est donc important de noter que les restrictions d’emballage ne seront pas les mêmes que pour les produits du tabac. La publicité sociétale ne sera permise que si elle s’adresse aux adultes dans le cadre d’envois postaux et de coupons, et dans des milieux fréquentés par des adultes.
On a beaucoup discuté du droit de faire de la publicité sur « la réduction desméfaits » ou sur ce qu’on appelle souvent le « continuum des risques ».
Certains sont d’avis que les revendications relatives à la santé devraient être présentées sous forme de comparaisons entre l’ensemble des produits du tabac et de vapotage. Par exemple, la publicité pourrait dire que la cigarette électronique réduit le risque de cancer et de maladies cardiovasculaires par rapport à la cigarette de tabac, ou que le tabac à chiquer est moins nocif que les cigarettes combustibles. Dans le cas du projet de loi S-5, ces revendications doivent être mises à l’épreuve de la même façon que les produits pharmaceutiques, avec présentation des preuves scientifiques habituelles fondées sur des essais cliniques et l’approbation finale de Santé Canada.
La réglementation prévue dans le projet de loi S-5 assure une commercialisation flexible fondée sur les preuves accumulées. Par conséquent, à mesure que des progrès seront réalisés et que des études aboutiront à des preuves plus concluantes, les règlements pourront être modifiés pour devenir plus ou moins restrictifs, de façon à circonscrire ou à élargir l’utilisation.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne permet pas de présenter des allégations, même aux adultes, relatives à la renonciation au tabac, aux toxines ou à l’exposition à la fumée secondaire sans preuves scientifiques assez solides. Les produits devraient satisfaire à des exigences de sécurité, de qualité et d’efficacité avant et après la mise en marché, comme tout autre nouveau produit pharmaceutique visé par la Loi sur les aliments et drogues.
Le projet de loi S-5 prévoit également des autorités réglementaires qui exigeront de l’industrie qu’elle rende compte à Santé Canada des ventes de produits et des recherches menées, qu’elle fasse une collecte suivie des données et qu’elle exerce une surveillance comprenant le compte rendu des incidents et des rappels afin d’assurer la transparence pour les Canadiens.
En outre, l’utilisation des produits de vapotage serait frappée des interdictions qui s’appliquent au tabac dans les lieux de travail soumis à la réglementation fédérale.
Le sommaire à la toute première page du projet de loi S-5 indique que ces modifications à la Loi sur le tabac donnent suite au rapport du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes intitulé Vapotage : vers l’établissement d’un cadre réglementaire sur les cigarettes électroniques. En effet, la plupart des recommandations du comité ont été mises en œuvre dans le projet de loi S-5.
En particulier, le comité a noté que le cadre réglementaire actuel pour les cigarettes électroniques est en place au Canada depuis 2009, année où Santé Canada a émis un avis informant les consommateurs que les cigarettes électroniques pouvaient poser des risques pour la santé, mais qu’aucune n’était réglementée par des normes de sécurité. Le comité à l’autre endroit a reconnu la confusion grave qui persiste concernant la teneur en nicotine des cigarettes électroniques et indique clairement qu’il y a une certaine urgence à légiférer.
Deux autres rapports importants sont à considérer en réfléchissant à notre situation au Canada. Depuis 2015, tant l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) que le directeur du Service de santé publique des États-Unis ont recommandé de légiférer pour instaurer des normes encadrant la fabrication, la distribution, la commercialisation et la vente des cigarettes électroniques. Le directeur du Service de santé publique des États- Unis a conclu que les cigarettes électroniques sont une catégorie commerciale diversifiée et en pleine émergence proposant de la nicotine et des aromatisants, et qu’elles sont actuellement plus populaires que la cigarette conventionnelle chez les jeunes. Le dernier rapport du directeur du Service de santé publique des États- Unis, qui date de 2016, a détaillé les répercussions d’ordre politique et pratique en vue d’une stratégie fondée sur des données probantes portant spécialement sur l’utilisation de la cigarette électronique chez les jeunes et les jeunes adultes.
Ces recommandations sont notamment l’extension de l’autorité de la Food and Drug Administration (FDA) à tous les produits du tabac, cigarettes électroniques comprises, l’inclusion des cigarettes électroniques dans les politiques antitabac, la prévention des ventes aux jeunes, des hausses considérables des taxes et du prix, la réglementation du marketing visant les jeunes ainsi que les recherches continues et la surveillance qui maintiendront et actualiseront les réglementations sur les cigarettes électroniques au niveau fédéral pour protéger la santé publique.
Un rapport de l’OMS sur les cigarettes électroniques avec et sans nicotine a été préparé pour une réunion des 180 pays signataires de la Convention-cadre de lutte contre le tabagisme en novembre 2016 à Delhi, en Inde. Il visait à rendre compte des nouvelles données concernant les preuves de l’effet des cigarettes électroniques sur la santé et leur rôle potentiel dans l’arrêt du tabagisme, à examiner les méthodes de mesure de la composition et des émissions de ces produits, et à évaluer les politiques possibles.
Pour l’essentiel, le rapport de l’OMS fait état de données scientifiques non concluantes concernant les cigarettes électroniques pour ce qui est de la lutte contre le tabagisme, des risques pour la santé, des risques du tabagisme passif et de l’arrêt du tabagisme ainsi que concernant la cigarette électronique comme passerelle vers le tabagisme ou précurseur du tabagisme. Cependant, l’OMS suggère des options de politiques pour atteindre des objectifs de protection particulière des jeunes et de prévention des allégations de santé non prouvées.
Les spécialistes de la santé publique ne sont pas unanimes au sujet du rapport de l’OMS. Certains disent que l’OMS devrait chercher à combattre le tabagisme, et non à réglementer l’utilisation de la nicotine. D’autres disent qu’il est déjà clair que les risques pour la santé de l’utilisation de cigarettes électroniques sont bien inférieurs à ceux du tabac combustible. Dans l’ensemble, il y a un consensus clair pour dire que les cigarettes électroniques devraient être réglementées, qu’elles ne devraient pas faire l’objet de promotion auprès des jeunes et que leurs effets, risques et avantages pour la santé devraient être suivis et surveillés en continu.
Honorables sénateurs, actuellement, au Canada, les cigarettes électroniques sont réglementées uniquement aux niveaux provincial et municipal. Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon n’ont aucune réglementation. La Nouvelle-Écosse, une des premières provinces à avoir imposé des restrictions notables sur les ventes de cigarettes électroniques au Canada, a adopté en mai 2015 des mesures législatives qui assimilent les cigarettes électroniques à des cigarettes de tabac conventionnelles. Le Nouveau-Brunswick a adopté des dispositions législatives similaires à celles de la Nouvelle-Écosse. La Saskatchewan, le Manitoba, la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario ont des restrictions très élémentaires qui portent uniquement sur le lieu d’utilisation des cigarettes électroniques, imposant des restrictions identiques à celles qui existent pour les cigarettes de tabac conventionnelles.
Ma province, le Québec, a adopté en 2015 les mesures législatives les plus strictes de l’Amérique du Nord en matière de cigarette électronique. Le projet de loi 44 modifie la Loi sur le tabac du Québec et soumet les cigarettes électroniques et tout autre dispositif de cette nature, y compris leurs composantes et leurs accessoires, aux mêmes règlements que les produits du tabac. L’étalage et la vente de cigarettes électroniques sont restreints aux points de vente spécialisés. Dans un effort de protection des jeunes, les ventes sur Internet, par téléphone et par d’autres moyens sont interdites, au même titre que les publicités en ligne et les affiches placées en vitrine à des fins promotionnelles. Le projet de loi 44 du Québec a fait l’objet de vives critiques de la part de l’industrie du tabac et les magasins d’articles de vapotage ont déposé une contestation devant la Cour supérieure du Québec.
Honorables sénateurs, je dois évoquer une autre modification de l’actuelle Loi sur le tabac que propose le projet de loi S-5. Selon Santé Canada, les emballages de tabac et les produits qu’ils contiennent restent de puissants canaux promotionnels qui permettent à l’industrie de communiquer une image de marque positive et d’attirer de nouveaux consommateurs de tabac, en particulier des jeunes. Pour lutter contre ce problème, la Loi sur le tabac et les produits de vapotage qui est proposée offrirait la souplesse nécessaire pour permettre la mise en œuvre d’une série d’options, par exemple une couleur, une police de caractères et une finition uniformisées et l’interdiction de renseignements promotionnels et d’éléments de marque comme les logos. Le paquet de cigarettes a la réputation d’être un précieux instrument de marketing, en particulier auprès des jeunes.
De nombreuses études fondées sur des groupes de discussion et même sur des essais à caractère aléatoire ont cherché à déterminer si les distinctions entre les emballages ont un effet sur les fumeurs jeunes et adultes, et en particulier si elles ont une influence sur la perception des risques du tabagisme pour la santé, l’attrait perçu des produits de tabac et les attitudes envers le tabagisme.
Au moment où j’ai rédigé mon discours, des consultations étaient en cours sur l’avenir de la lutte contre le tabagisme au Canada. Elles ne seront pas terminées avant la mi-avril. La norme effective pour un emballage neutre reste à déterminer. On ignore également si le projet de loi S-5 exigera le retrait de la marque du tube à cigarette. Dans l’affirmative, si toutes les marques distinctives doivent être retirées de l’emballage extérieur et de l’intérieur de l’emballage, y compris de la cigarette elle-même, les craintes sont qu’il n’y aura aucun moyen de garantir l’authenticité du produit.
Pour garantir la sécurité et le respect des normes, c’est-à-dire garantir que les ingrédients sont conformes aux prescriptions de la loi et des règlements et sont ceux rapportés par les cigarettiers à Santé Canada, certains disent que l’authenticité du produit doit être bien visible pour l’acheteur.
Selon certaines sources, des cigarettes de contrebande sont produites dans plus de 50 fabriques illégales qui fonctionnent dans tout le Canada sans se conformer à la réglementation et sans faire l’objet de surveillance. Ces cigarettes sont vendues aux Canadiens par l’intermédiaire de plus de 300 comptoirs à tabac illégaux et d’un réseau de distribution criminel. Plus d’une cigarette sur trois achetée en 2014 aurait été illégale et plus de 2 milliards de dollars auraient échappé à la perception en raison de la contrebande du tabac.
En raison de son faible prix et de son accessibilité facile, le tabac de contrebande favorise le tabagisme chez les jeunes, et l’on a des raisons de croire que des cigarettes de contrebande sont vendues dans les cours d’école. Plus que toute autre caractéristique, le prix semble être le facteur le plus décisif dans la vente de cigarettes aux jeunes.
Selon certains, il y aurait un risque que cette proposition d’emballage neutre et uniformisé pour les produits de tabac ait des « conséquences non voulues » graves et préjudiciables dans plusieurs domaines. Elle pourrait augmenter la probabilité de contrebande et de produits contrefaits; augmenter les gangs de jeunes et la violence autour des écoles où la contrebande a souvent lieu; aggraver les difficultés économiques de propriétaires de petite épicerie qui se conforment déjà à toutes les restrictions sur les cigarettes; réduire la garantie pour le consommateur du respect de certaines normes, voire de la sécurité d’un produit dont les ingrédients sont rapportés de manière transparente par le cigarettier; créer des difficultés pour les travailleurs canadiens de ce secteur.
De plus, les cigarettiers ont contesté un tel emballage neutre au motif qu’il serait contraire au droit international du commerce et des marques.
L’Australie est le premier pays à avoir légiféré pour imposer l’emballage neutre pour les cigarettes. La loi a été promulguée en 2012. Deux autres pays, la France et le Royaume-Uni, ont légiféré et auront un emballage entièrement neutre pour les cigarettes de tabac d’ici la mi-2017. La Nouvelle-Zélande et l’Irlande sont également aux derniers stades de l’adoption de mesures législatives à cet égard.
En mars de l’année dernière, l’Organisation mondiale de la Santé a publié un résumé d’orientation sur les mesures prises par l’Australie à l’égard des produits et emballages de tabac. Il y est indiqué que la prévalence du tabagisme a effectivement reculé en Australie entre 2010 et 2013. La proportion de fumeurs quotidiens est passée de 16 à 13 p. 100 parmi les personnes de 18 ans et plus. Cependant, il y a eu débat quant à la question de savoir si le tabagisme avait augmenté dans la tranche d’âge des 12 à 17 ans. Par ailleurs, selon une étude d’évaluation menée par l’Université nationale australienne à l’aide de données du Bureau australien de la statistique, la réglementation concernant l’emballage neutre n’avait pas eu d’effet sur le tabagisme tel que mesuré par les dépenses de tabac.
Un débat a éclaté dans les médias concernant l’efficacité des politiques d’emballage neutre. Les sources de l’industrie du tabac ont laissé entendre que la consommation de tabac avait augmenté, tout comme le commerce illicite de produits de tabac de contrebande. Les militants de la lutte antitabac ont attiré l’attention sur les données du Bureau australien de la statistique qui indiquaient que, si les dépenses des ménages en produits de tabac avaient augmenté en 2013, elles avaient connu une chute spectaculaire au premier trimestre de 2014. Le récit complet et l’analyse de la situation australienne ont été publiés dans le magazine Agenda – A Journal of Policy Analysis and Reform. Les auteurs ont clairement indiqué que, dans l’idéal, l’impact d’un changement de politique serait testé en examinant l’évolution de la consommation de tabac pondérée en fonction des changements démographiques, de prix, de revenu et autres.
À ce jour, la réussite de la politique d’emballage neutre est évaluée sur la base d’indicateurs très imparfaits. La question à poser est la suivante : l’introduction de l’emballage uniformisé au Canada permettra-t-elle d’atteindre l’objectif affiché de rendre les cigarettes de tabac moins attrayantes pour les jeunes et de réduire leur consommation?
Honorables sénateurs, en conclusion, le projet de loi S-5 modifie la Loi sur le tabac pour réglementer les produits de vapotage comme une classe distincte de produits, et harmonise aux fins de conformité d’autres lois existantes. Il remplit également l’engagement de mise en œuvre de l’emballage neutre uniforme pour les produits de tabac.
En tant que porte-parole de l’opposition pour le projet de loi S-5, j’ai rencontré de nombreux intervenants qui représentaient le secteur, les détaillants, des groupes de consommateurs, les syndicats, les forces de l’ordre, les organismes de bienfaisance, des associations de santé et des professionnels de la santé. Si leurs arguments étaient très différents, tous sont du même avis concernant le besoin pressant de légiférer sur les cigarettes électroniques et le vapotage. Les lois et les règlements en découlant permettront un système de suivi rigoureux, mettront en place des garanties et imposeront des normes dans tout le pays.
Lors de ma rencontre avec la Société canadienne du cancer, l’Association médicale canadienne et la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, ces organisations ont exprimé l’avis selon lequel il pourrait s’agir d’une des modifications à la Loi sur le tabac les plus importantes apportées depuis des décennies. Toutefois, elles disent également clairement : « Il faut que ce soit bien fait. » J’espère donc que, quand ce projet de loi parviendra à l’étape de l’étude en comité, les témoignages d’experts nous aideront précisément à bien faire les choses, en particulier pour protéger nos jeunes d’un retour à une époque où le tabagisme était normal.